Mémoires d’un témoin du siècle : l’étudiant (1930-1939) – Malek Bennabi

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« (…) le “réaliste”, c’est l’étudiant algérien disposé à toutes les compositions, l’“idéaliste”, c’est le bonhomme prêt à tous les refus. Ce soir-là, je m’en souviens, à mesure que Kessous parlait, des regards d’intelligence s’échangeaient entre lui et son clan qui comprenait aussi des Tunisiens. De notre côté, Ben Saï et moi, nous nous adressions des regards complices qui traduisaient notre pensée sur l’orateur et ses supporters. C’est ce soir-là, je crois, qu’obéissant à la logique de situation, j’ai déclaré à l’assistance, à l’issue de la conférence, que j’en ferais une sous le titre “Pourquoi nous sommes musulmans”. Le sujet fut l’objet d’une petite ovation d’approbation.

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« (…) le “réaliste”, c’est l’étudiant algérien disposé à toutes les compositions, l’“idéaliste”, c’est le bonhomme prêt à tous les refus. Ce soir-là, je m’en souviens, à mesure que Kessous parlait, des regards d’intelligence s’échangeaient entre lui et son clan qui comprenait aussi des Tunisiens. De notre côté, Ben Saï et moi, nous nous adressions des regards complices qui traduisaient notre pensée sur l’orateur et ses supporters. C’est ce soir-là, je crois, qu’obéissant à la logique de situation, j’ai déclaré à l’assistance, à l’issue de la conférence, que j’en ferais une sous le titre “Pourquoi nous sommes musulmans”. Le sujet fut l’objet d’une petite ovation d’approbation. La conférence eut lieu vers le 20 décembre. C’était une thèse soutenue par l’argument historique. Le clan des “réalistes” réagit :

“Pourquoi vous vous tournez vers le passé ? C’est l’avenir qui nous intéresse.”

Ferhat Abbas le dira plus clairement en 1936. Pour le moment, je crois devoir ne pas laisser passer l’occasion de clouer le bec à cette hérésie. Je me dresse et ouvre feu. Je n’ai pas le temps de voir si Kessous et Naroun s’adressent des regards d’intelligence. Je suis lancé dans une envolée dialectique et lyrique : “C’est l’esprit qui fait la matière…” Je me rappelle cette bribe de mon discours. Je me demande si j’en comprenais bien le sens alors. Hamouda Ben Saï, assis à mon côté, m’arrête. Je le laisse intervenir. C’est un peu terne, ce qu’il dit. Je reprends la parole en la lui arrachant. Un moment épique règne dans la salle. Quand je termine, un étudiant tunisien se jette dans mes bras : “C’est pour ton intervention improvisée, plus que pour la conférence”, me dit-il en m’embrassant.

Était-il donc lui aussi “idéaliste” ? C’est la question que je me pose après trente-cinq ans, car quand je l’ai revu par la suite, il était devenu “réaliste”. La boulitique fait des miracles. En tout cas, ce soir-là, les “réalistes” évitaient en sortant mes regards : notre feu leur avait appris à bien se tenir. J’étais heureux, ma femme était heureuse. Trois jours après, j’étais allé prendre le café du matin à l’Union pour lire les journaux. Au moment où je passe à la salle de lecture où il n’y a encore personne à cette heure-là, sauf les agents de service, je vois s’avancer vers moi un monsieur à chapeau melon. Si c’était aujourd’hui, j’aurais tout de suite compris :

“Bonjour, vous êtes M. Seddik ? me demande l’inconnu.

— Oui, c’est bien moi.” »

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