La vie de Mohammed vient s’ajouter à toutes ces biographies musulmanes dont la floraison, ces dernières années, notamment en Égypte, fut remarquable.
Certes, on en goûtera moins les méthodes exégétiques que la chaleur et la couleur narratives : une extraordinaire netteté de ligne et de teintes, dans un texte qu’illuminent çà et là des reproductions de tableaux, nous rappelle heureusement que l’un des auteurs fut l’un de nos grands peintres orientalistes.
Du point de vue du juriste et de l’historien, tout n’est pas à dédaigner de ces subtiles correspondances entre le paysage arabe et la Loi révélée, jaillies à tout instant d’une prose visionnaire. Ces correspondances, on le sait de reste, ne sont pas négligées par la critique occidentale, fut-elle la plus sévèrement érudite. Car la vérité de l’ambiance est souvent un sûr garant de l’exactitude historique.
Ce sont les traditions qui nous ont guidés. Nous nous sommes contentés de choisir celles qui nous paraissaient les plus caractéristiques, de les situer dans leur milieu…. et de les regarder à travers notre expérience de la vie musulmane du désert saharien. (p. 4)
Ainsi s’expriment les auteurs. C’est dire que dans cette vie du Prophète, la teinte arabe est intense. La première poussée de la foi, à travers le groupe du Hijâz, est décrite par
quelqu’un qui sait l’importance de ces Bédouins dont l’originalité a frappé des observateurs tels que Robertson-Smith ou Jaussen. Le sociologue goûtera particulièrement l’histoire de l’alliance avec les deux clans de Yathrib (p.94), et celle de la fraternité contractuelle nouée entre Ansar
et Muhajirun (p. 115). Ibn Khaldûn a fait, on le sait, une large place à cet immense facteur historique que fut, singulièrement au Maghreb, l’esprit clanique, açabiyya, et à la notion de pacte, si riche de sens et de mots (…).
Une autre chose qui frappe, c’est la vie de ce portrait, et jusque dans le détail physique (p. 265). Ce n’est point là chose indifférente pour le croyant. Comme le disent justement les auteurs : « La préoccupation constante de tous les musulmans, à quelque race qu’ils appartiennent, est d’imiter en toutes choses, dans les actions les plus humbles
comme les plus hautes de l’existence, les habitudes du prophète ». (p. 6)
Voici donc, en français, la première vie exemplaire de Mohammed, puisée aux sources traditionnelles des Hadith. On sait que pour les Sunnites, c’est là une source juridique importante. Les moindres actions du Prophète ont nourri, indépendamment de leur vertu émotionnelle, ou de leur appel mystique à l’imitation, une innombrable exégèse et des prolongements juridiques à l’infini.
Il est bon que les auteurs aient retracé les principales réformes islamiques dans le cadre de la société arabe et de la vie prophétique : limitation de la polygamie, institution du çadaq (p. 269), du jeûne (p. 118), etc. Il est bon qu’ils aient insisté sur le caractère de droit divin de la loi islamique ;
sur cette « descente » du Coran pendant les dernières nuits de ce mois de Ramadan qui devait rester l’une des périodes les plus intenses de la vie mystique musulmane ; sur ce cachet si propre à l’Islam d’intégration religieuse complète, d’État théologique à la Comte.
La tendance est féconde à replonger dans les ‘ucûl, dans l’ambiance authentique qui seule permet de les comprendre historiquement. Je n’en veux pour exemple que l’institution de l’aumône (p. 119), ou de la zakât. (…)
Cela nous mènerait bien loin de cette Vie de Mohamed, riche en couleur et en foi, qui mérite l’intérêt du grand public par son évocation si vivante de la première geste islamique, et de l’historien par cela même qu’elle l’écartera un moment de la science de laboratoire.
Revue Marocaine de Législation, Doctrine et Jurisprudence Cherifienne, 1937-38, n°6-7, p. 23-25 (version en arabe et en français).