Les Bonnes Feuilles.

Le texte qui suit est extrait du livre  Arabité civilisationnelle Du Golfe à l’Océan. Fragments de textes pour la libération spirituelle, nationale, sociale et culturelle

Premier tome (à paraître aux éditions Héritage).

Malek Haddad, étoile polaire de l’arabité algérienne et de la fraternité arabe pour la Palestine

par Mohammed Taleb

 

 

C’est le 5 juillet 1927 que naît l’Algérien Malek Haddad ( مالك حداد ) dans la cité de Constantine. Toute sa vie, il sera profondément attaché à cette vieille ville arabe aux racines numidienne et punique. Son père, qui est instituteur, le pousse à effectuer des études supérieures, après ses études secondaires en français et l’obtention de son baccalauréat. Le jeune homme se rend donc à la faculté de droit de l’université d’Aix-en-Provence (1954), mais d’autres priorités et d’autres exigences s’imposent à lui et Malek Haddad doit suivre sa vocation : l’écriture. C’est à travers la poésie, le roman et l’activité journalistique qu’il réalisera ses voeux les plus intimes. Sympathisant du courant communiste, il travaillera dans le sud de la France (en Camargue), comme ouvrier agricole. C’est d’ailleurs en France qu’il fait la rencontre d’un autre écrivain constantinois, Kateb Yacine, et du peintre Mohamed Issiakhem. Durant la guerre de libération nationale du peuple algérien, il met ses compétences d’écrivain au service de la cause nationale, écrivant dans de nombreux organes de presse (comme Progrès, La Nouvelle critique, Entretiens, Les Lettres françaises, Algérie républicaine, Confluent). Le Malheur en danger est le titre de son premier recueil de poèmes, édité en 1956. Il rejoint la Fédération de France du Front de libération nationale. De 1960 à 1962, il est à Tunis, où il représente la communauté des écrivains au sein du FLN. Il assume un rôle certain dans la diplomatie culturelle du mouvement indépendantiste. Par exemple, Malek Haddad représentera l’Algérie révolutionnaire auprès du Congrès des écrivains afro-asiatiques (comme à Tokyo en mars 1961). Nous le retrouverons aussi au Caire, Damas, Lausanne, Moscou, New Delhi. Ces années furent extrêmement fertiles et il publie ainsi, en 1958, La Dernière impression, en 1959, Je t’offrirai une gazelle, en 1960, L’Élève et la leçon et, enfin, en 1961, Le Quai aux fleurs ne répond plus ainsi qu’un nouveau recueil de poésies Écoute et je t’appelle précédé de l’essai Les Zéros tournent en rond. Malek Haddad retourne en Algérie, après la victoire en 1962, et contribue au développement de la vie culturelle, aux débats d’idées, à travers en particulier un engagement dans la presse. Il a joué un rôle important dans la création de la revue Novembre en 1963, collaboré à l’hebdomadaire Atlas, et, de 1965 à 1968, animé la page culturelle du quotidien An-Nasr à Constantine. De 1968 à 1972, il assume une nouvelle fonction, celle de directeur de la culture au ministère de l’Information et de la Culture. Il est également secrétaire général de l’Union des écrivains algériens de 1974 à 1976. Malek Haddad meurt le 2 juin 1978 à Alger. Qu’Allah l’accueille dans Son vaste paradis.

 

Patriote algérien, il avait une passion pour les luttes de libération des peuples du monde. Le Vietnam, la Chine, la Palestine… Peu de temps avant sa disparition, il avait participé à la création d’un grand reportage télévisé (« La Volonté d’un peuple ») consacré au combat du peuple du Sahara occidental. L’immense écrivain et poète algérien francophone fut l’un des porte-parole de la révolution culturelle arabo-musulmane en Algérie. Même s’il ne maîtrisait pas la langue arabe, la promotion de l’arabité était une évidence et le soutien à l’arabisation (à l’école et dans les administrations) une exigence politique et morale. Ses romans, ses poèmes, ne sont pas seulement forts par les contenus qu’il offre, mais aussi par le souffle de ses proses, l’élan lyrique du verbe. Écrivain-poète, la langue française était sa langue de travail, mais non sa langue d’âme ou de coeur. Contrairement à l’affirmation de Kateb Yacine, selon qui la langue française en Algérie était un « butin de guerre », Malek Haddad la considérait comme un exil. Ses romans furent donc écrits en langue française, mais il faut être capable d’en percevoir la force d’arabité. L’oeuvre de Malek Haddad est donc une oeuvre techniquement en langue française, mais pénétrée d’arabité, et il était tout naturel que le lecteur arabe puisse y accéder. Et il est intéressant de questionner la traduction en arabe et de présenter l’un de ses traducteurs, le Syrien Sami el-Jundi… Malheureusement, son nom a disparu de la conscience arabe contemporaine, alors qu’il fut dans les années 1950 et 1960 l’un des principaux intellectuels nationalistes arabes en Syrie, militant infatigable de l’Unité arabe. C’est lui qui permet le passage à la langue arabe de L’Élève et la leçon, troisième roman de Malek Haddad, paru en 1960. Ce récit met aux prises un médecin algérien, Idir Salah, qui avait placé ses espoirs dans une intégration-assimilation à la France coloniale, et sa fille Fadila, amoureuse d’un jeune combattant de l’ALN, Omar.…

 

Malek Haddad nous offre, ici, avec ce poème publié à la Une, dans l’éditorial du quotidien An Nasr, le 5 juin 1967 (et dans Révolution africaine, numéro 226 12 juin 1967) l’un de ses plus beaux poèmes, et même l’un des plus beaux poèmes de la littérature algérienne et arabe. Le jour de la publication, l’entité coloniale israélienne attaque la Syrie, l’Égypte et les terres palestiniennes de Gaza et de Cisjordanie, avec El-Qods. C’est la Naksa, mot arabe qui désigne la « rechute », après la Nakba (la catastrophe) de 1948. Malek Haddad fait converger vers la Palestine son patriotisme algérien, son nationalisme arabe et sa haute conscience humaniste.

 

 

Gaza mon âme, ou la gazelle furieuse

L’unité d’un parfum

La gloire d’un bouquet rouge

La mer rouge le sang rouge

L’étoile rouge au milieu d’un croissant

Après le désarroi des musiques contraires

Et le solo fragile au refrain contrarié

Après l’injure au sable et le cri solitaire

 

Comme un doigt se rassure au mouvement du geste

Comme la main indique enfin la direction

Vers Akaba ce coeur au coeur d’un coeur qui bat

Le monde arabe se retrouve

À la fin des déserts.

 

Gaza mon âme ou la gazelle

Attend le clair de lune au jardin repensé

Quand la chanson n’est pas chez elle

Un pan de mon drapeau est encore à tisser.

 

Ne croyez pas surtout, surtout n’allez pas croire

Que j’oublie Nuremberg et que j’oublie Dachau

Mais là je suis chez moi, chez moi dans ma mémoire

Dans ce Moyen-Orient où l’intrus est de trop.

Ne croyez pas surtout, surtout n’allez pas croire

Que j’oublie Varsovie devenant Polonaise

Ni les trains qui drainaient la mort au crématoire

Mes frères par millions hurlant dans la fournaise.

 

Ne croyez pas surtout, surtout n’allez pas croire

Que j’appelle à la haine en saluant nos tanks.

Je n’oublierai jamais dans la Nuit le Brouillard

Le regard angoissé de ma sœur Anne Frank.

 

Mais là je suis chez moi, chez moi en Palestine.

Et l’insulte est chez moi, c’est le même corbeau

qui insultait mon ciel, hier à Constantine

Et narguait nos amours, et narguait nos tombeaux.

 

Mais là je suis chez moi, chez moi en Palestine.

Chez moi parce qu’Arabe, Arabe à en mourir

Arabe dans les yeux, Arabe en ma poitrine.

De Damas en danger à notre El-Djazaïr.

 

Car l’insulte est chez moi en ce coin d’univers.

Ce coin de ma maison qui me laisse à la rue.

Je rentrerai chez moi après de longs hivers

Je rentrerai chez moi à l’aube revenue.

 

Aux avant-postes du soleil

Que Dieu bénisse la guerre juste

Bénisse aussi le rameau d’olivier

 

Bénisse le soldat qui devient sentinelle.

Bénisse le soldat qui devient pèlerin

Au levant du socialisme

Bénisse le matin qu’on nous avait volé

Le chemin de l’aurore est une longue route.

 

Une étoile est de trop dans le ciel usurpé.

Gaza mon âme ou la gazelle

Attend le clair de lune au jardin repensé

Quand la chanson n’est pas chez elle

Un pan de mon drapeau est encore à tisser.

 

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