Auguste Comte fondateur de la sociologie, bien que très critique vis à vis des religions n’a eu de cesse de faire l’éloge de l’islam dans son enseignement, une religion qui n’a pas d’immense élaboration métaphysique et théologique, qui demande un maximum d’altruisme pour un minimum de métaphysique et qui vénère 124 000 prophètes et développe un sentiment de la continuité humaine et un profond respect pour ceux qui ont enseigné la Vérité écrivait-il.
Auguste Comte admirait l’islam et le caractère mobilisateur de ses rites, il soulignait que si les musulmans semblent aujourd’hui dormir, leur réveil ne saurait tarder et que celui-ci sera terrible sauf si nous faisons naître de légitime sympathie au lieu d’alimenter de stupides craintes.
Pour aller au bout de ses ambitions au Collège Libre des sciences sociales qu’il a créé dans le 5e arrondissement d’éminents musulmans enseignaient, comme l’intellectuel ottoman Ahmed Riza.
Il voulait contribuer par cela à permettre au monde occidental de découvrir le monde musulman.
A la mort du fondateur du positivisme, Pierre Laffitte son successeur poursuit l’activité intellectuelle d’Auguste Comte et reste tout autant islamophile.
Il institue une fête annuelle en l’honneur du Prophète afin de faire apprécier l’islam au public occidental et une fête en l’honneur du monothéisme Islamique, qui est célébré pour son anticléricalisme, son extrême simplicité, son refus de l’anthropomorphisme, sa vision de Dieu qui fait de lui un Dieu connaissable et unique, sa rationalité et du fait qu’il tient compte de la loi du progrès humain sans isoler l’homme du fonctionnement de ce monde.
Pierre Laffitte comme Auguste Comte met en avant la solidarité musulmane enseignée par Mohamed mais aussi la place honorable qu’il a fait à la science ainsi que le fait qu’il s’inscrive dans la continuité de ses prédécesseurs au lieu de créer une nouvelle secte.
Charles Mismer, autre disciple d’Auguste Comte perpétue à son tour l’islamophilie comtiste, dans sa réponse à Ernest Renan au sujet de l’islamisme et la science il affirme que les musulmans n’ont rien à envier à notre société, ni d’un point de vue moral, ni social, il écrit « leur religion est la seule à combattre la débauche, l’usure, le jeu et la prostitution…les hommes sont tenus d’entretenir les femmes et l’hygiène fait partie du culte ».
Paul Bourdarie, lui aussi professeur au Collège libre des sciences sociales et directeur de la Revue indigène, participe activement avec d’autres comtistes à l’élaboration d’un imposant projet d’«Institut d’études supérieures franco-arabes» comportant une mosquée.
Il justifie ce projet par le fait que « deux civilisations se côtoient sans se connaître» ce qui nécessite de créer une institution qui rechercherait les ponts existants ou à établir entre celles-ci.
Le but de Paul Bourdarie est de créer à Paris un foyer de haute civilisation franco-musulmane en mettant directement en contact les jeunes éléments les plus cultivés de l’islam avec la fleur de la science et de la société française.
Certains disciples d’Auguste Comte iront jusqu’à embrasser l’islam, comme c’est le cas pour Christian Cherfils.
Il se fait appeler Abdelhak et même après sa conversion continue d’enseigner au Collège Libre.
Il n’hésite pas à affirmer que sa conversion est le fruit de l’enseignement d’Auguste Comte qui aurait fait de même si il avait vécu plus longtemps.
Dans ses cours il perpétue lui aussi l’islamophilie comtiste, il y explique parfois des sourates du Coran, comme la sourate YoussoufJ (Joseph), qu’il qualifie de récit merveilleux.
Il écrit plusieurs livres, un sur le monothéisme islamique (tawhid) et un sur Bonaparte et l’islam dans lequel il réunit et commente l’ensemble des déclarations de Bonaparte favorables à l’islam, il explique que celui-ci s’est inspiré de la législation islamique (ash-sharia) lors de son voyage en Égypte pour constituer le Code Civil français.
Son objectif est de mettre en valeur l’islamophilie française qui est pour lui une constante depuis l’alliance entre François 1er et Soliman le Magnifique.
Dans cette dynamique il fonde à Paris en 1907 l’Association la fraternité musulmane.
On peut lire dans ses statuts « La seule nation qui, dans l’histoire, ait cherché non pas à dominer l’islam, mais à s’allier avec lui pour civiliser le reste du monde, c’est incontestablement la France. Une telle politique se dessine sous François 1er et se complète avec Bonaparte. »
Quant aux objectifs de l’association, tels que les statuts les décrivent: établir des liens de solidarité entre musulmans, conserver et développer parmi la jeunesse musulmane les principes de la science islamique, porter secours aux musulmans en cas de maladies ou de décès, assister les musulmans de passage et faciliter les manifestations de leur vie publique et sociale (circoncision, mariage…).
Le comité de direction est composé de notables et d’intellectuels musulmans d’origine ottomane, égyptienne, caucasienne ou autres.
Des cours d’arabe, de Coran, d’exégèse coranique mais aussi l’histoire de l’islam et l’histoire du Prophète sont dispensés chaque semaine sous la supervision de Mahmud Bey Salem, ancien juge égyptien.
Chaque quinzaine une grande conférence est organisée, parmi les intervenants de renom l’émir Khaled ou Etienne Dinet par exemple, dont la conférence mémorable Rayons de lumière islamique sera traduite en arabe et diffusée dans le monde musulman afin de témoigner de l’activité islamique existante à Paris.
Jusqu’en 1926 sans aucun soutien gouvernemental ou universitaire, Christian Cherfils a réussi à mettre en place une structure de haut niveau qui réunira pendant un quart de siècle un groupe de penseurs et d’intellectuels qualifiés qui contribuèrent aux rayonnement de l’islam à Paris.
Pendant environ la moitié de sa vie il a milité pour établir une mosquée à Paris, et si ce projet a vu le jour, il a été confisquée pour servir la politique coloniale, et il n’a pas pu véhiculer l’image civilisée et idéaliste qu’il souhaitait.
Il a même été évincé du projet, jusqu’à être empêché de réciter un poème écrit pour l’occasion lors de la cérémonie de détermination de la direction de la qiblah en 1922 et son nom n’a même pas été mentionné lors de la cérémonie d’ouverture de la mosquée en 1926.
Plus tard Malek Bennabi écrira que la Grande mosquée doit être gérée par les musulmans de Paris, c’est uniquement de cette façon qu’elle pourra participer au rayonnement de l’islam en France comme le fit jadis la Fraternité Musulmane, sinon elle restera un objet de conflit entre certains états autour d’enjeux stratégique.
Thomas Sibille
Bibliographie
Statuts de l’Association Fraternité Musulmane (1921)
La France et ses musulmans Sadek Sellam éditions Héritage 2022
Bulletin de la maison d’Auguste Comte numéro 19