L’histoire intellectuelle de l’islam en France reste à écrire. Pour rendre compte de la réflexion sur l’Islam par les musulmans, il faudrait remonter à la « zaouïa d’Amboise » où l’émir Abdelkader (1808-1883) enseignait la ‘Aqida sénoussyia (traité sur le tawhîd du cheikh Sénoussi du XVe siècle), inaugurait le dialogue islamo-chrétien, répondait aux attaques contre l’islam et recevait les châtelains des bords de la Loire.
Une telle histoire devrait ménager une place à Ismayl Urbain, saint-simonien islamisé, dont le projet de « Consistoire » musulman buta sur d’innombrables obstacles, auteur de pénétrantes études sur l’islam, organisateur de l’enseignement de l’islam et de l’arabe en Algérie et auteur d’une traduction (partielle) du Coran restée inédite.
Mériteraient d’être rappelées également l’islamologie comtiste et la politique musulmane républicaine et anticolonialiste préconisée par les positivistes. « Respect total et sympathie », recommandait Auguste Comte pour une religion qui demande « le maximum d’altruisme avec le minimum de métaphysique ». L’impartialité et la bienveillance du courant positiviste permirent l’émergence de deux grandes figures : le musulman comtiste Ahmed Riza (1859-1930), pourfendeur de la « poignée de vagues écrivains qui ont induit l’Europe entière sur l’islam » ; et le comtiste islamisé Abdelhaq-Christian Cherfils (1859-1925), théoricien de « l’esprit de modernité dans l’islam » et infatigable défenseur du projet d’institut et de mosquée à Paris dont il fut écarté après la récupération de cette idée par les tenants d’une « politique musulmane » coloniale.
Cherfils a animé des débats très riches sur l’islam qui mirent à contribution des intellectuels libres de toute attache, et firent connaître cette religion aux non-musulmans ouverts au dialogue et contribua au rayonnement de la Fraternité musulmane, fondée en 1907 par Mahmoud Salem, un intellectuel musulman francophile qui continuait à appeler la France dawla al-habîba (la Nation amie par excellence). Ce dernier avait comme vis-à-vis des Français islamophiles, parmi lesquels Eugène Jung (1873-1936) qui avait pris pour devise : « l’islam, notre ami, notre allié ». Mahmoud Salem s’était établi définitivement à Paris, puisqu’on trouve son nom sur la liste des invités de marque de Kaddour Benghabrit quand le président Vincent Auriol est venu assister, en juillet 1947, à la célébration de l’Aïd à la mosquée de Paris.
Ces animateurs de débats d’idées s’efforçaient de maintenir les effets du frémissement consécutif à l’élection en décembre 1896 à Pontarlier du docteur Philippe Grenier qui défraya la chronique en siégeant à l’Assemblée nationale en burnous. Car il était devenu musulman après un séjour en Algérie d’où il était parti en pèlerinage à La Mecque.
Quiconque voulait s’informer sur l’islam pouvait lire dans la Revue de l’islam, fondée à Paris en 1895 par Gaston Dujarric, les articles remarqués de Mostéfa Kamel Ibn el Khodja (1865-1917) sur La Tolérance de l’islamisme. Ce bach-hazzab (récitateur en chef du Coran) d’une mosquée de la Casbah d’Alger était aussi l’auteur d’un livre appelant à améliorer le statut de la femme musulmane et recevait régulièrement la revue réformiste El Manar du Caire.
Son exemple semble avoir inspiré Abderrahmane Belhaffaf (1883-1957), diplômé de la Médersa d’État d’Alger qui renonça à son poste de cadi (magistrat musulman) pour se consacrer à l’étude de l’islam. Il était encouragé par Christian Cherfils qui préfaça son Introduction à l’étude de l’islam, parue en 1926 peu de temps après la disparition du comtiste islamisé. Belhaffaf est représentatif d’une génération qui bénéficia d’un enseignement bilingue et pratiqua le biculturalisme. Ne se contentant pas de succès individuels, Belhaffaf et ses semblables voulaient contribuer à la rénovation de la pensée musulmane, conçue comme préalable à la réforme de la société musulmane. Leur engagement était d’abord d’ordre intellectuel avant d’être à caractère politique.
Les bouleversements de la Première Guerre mondiale et l’augmentation de l’immigration ouvrière éclipsèrent cette vitalité intellectuelle.
Les promoteurs du Centre culturel islamique, fondé à Paris en 1952, ont renoué avec cette vitalité. En raison d’une absence totale de transmission entre générations, l’élite qui a fondé cette association ne savait pas grand-chose de la réflexion ni de l’action de prédécesseurs parfois illustres, mais oubliés. Ces intellectuels se déterminaient en fonction des insuffisances de l’islam officiel dont l’institutionnalisation, à l’ouverture de la mosquée de Paris, sans l’institut cher à Cherfils, s’est faite aux dépens de la vitalité et de la liberté qui caractérisaient la Fraternité musulmane de 1907.
Chacun des membres fondateurs du Centre culturel islamique avait un parcours qui l’habilitait à participer à une réflexion sur l’islam et la situation du monde musulman. Ils venaient de régions du monde musulman éloignées les unes des autres, mais Paris leur permit de mieux se connaître.
Haïdar Bammate (1890-1965) était originaire du Daghestan. Il s’était installé à Paris en 1921, après la disparition de la République du Caucase du Nord (Daghestan et Tchétchénie), dont il avait été le ministre des Affaires étrangères, puis le président. Maîtrisant le français qu’il avait étudié à Petrograd du temps du Tsar, il était l’auteur d’articles remarqués sur l’importance stratégique de cette région, le danger du communisme et les insuffisances de la conférence de Versailles de 1919. En rapport avec les musulmans de l’ex-empire tsariste réfugiés en Occident, il publiait la revue Caucase pour sensibiliser les opinions occidentales au sort des musulmans tombés sous le joug communiste. Le roi d’Afghanistan lui a accordé la nationalité afghane et l’a nommé chargé d’affaires en France et en Suisse, où il connut de près l’émir Chakib Arslane. La publication, en 1946, de son livre à succès Visages de l’islam a consacré son passage définitif du djihad à l’idjtihad. Ce livre est très lu par les Algériens, depuis Mohand Tazerout qui cite « l’historien Haïdar Bammate » jusqu’aux étudiants et militants des partis politiques, aussi bien de l’UDMA que du PPA. La République algérienne de Ferhat Abbas en a fait un compte rendu très élogieux, signé par Mme Barrucand et lui a ouvert ses colonnes pour mieux informer les lecteurs sur la civilisation musulmane médiévale et sur les « mouvements de rénovation ».
Muhammad Hamidullah (1908-2002) venait de l’université el Osmania fondée en 1909 à Hyderabad et avait soutenu plusieurs thèses en Allemagne et en France. Lors de son premier séjour en Europe entre 1929 et 1935, il a découvert de nombreux manuscrits qu’on croyait perdus. À son retour en Inde, il a enseigné à son université d’origine et collaboré à la Revue des Études islamiques qui publiait sa « Lettre de l’Inde ». Au moment de la partition de l’Union indienne, il a été chargé de plaider à l’ONU la cause de l’émirat sunnite de Hyderabad, en vain. Il s’est installé à Paris où Louis Massignon voulait créer pour lui une chaire sur la Sira du Prophète à La Sorbonne. Car le grand érudit disposait d’une documentation considérable accumulée après des séjours dans de grandes bibliothèques, comme celle du Vatican où il connut Levi Della Vida, et celle de la faculté orientale (qui deviendra l’université Saint-Joseph) de Beyrouth où il fut reçu par le père Henri Lammens, sans parler des manuscrits qu’il réussissait à se faire offrir, au Yémen et ailleurs. En 1952, pour la publication de manuscrits comme Ansâb al-ashrâf de Balâdhurî, ou la version complète de Kitâb al-maghâzî d’Ibn Ishâq, Gaudefroy-Demonbynes et Massignon l’ont recommandé chaleureusement pour un financement du CNRS, où il finit par être recruté en 1954. « Contrairement aux Nord-Africains, M. Hamidullah ne fait pas de politique », tenait à préciser Massignon dans sa recommandation. Toute cette documentation lui a servi pour sa grande biographie du Prophète, dont le manuscrit était prêt, mais qu’il ne publiera qu’en 1959, en deux volumes chez Vrin. Avant cette parution, Hamidullah avait remis son manuscrit à son maître Gaudefroy-Demonbynes qui le cite abondamment dans son Mahomet paru en 1957.
Hamidullah était la véritable cheville ouvrière du Centre culturel islamique dont le fonctionnement était assuré par son jeune ami, musulman de l’Inde, Solaroddine Mohamed qui était arrivé à Paris en 1949.
En remplissant sa fiche d’adhésion au CCI, Hamidullah, à la ligne consacrée à la nationalité, a mis : « musulman ».
Eva de Vitray Meyerovich (1909-1999) faisait partie de ce groupe. Car elle s’était convertie à l’islam après avoir lu en anglais les conférences publiées par Sir Muhammad Iqbal sous le titre Reconstruire la pensée religieuse de l’islam, qu’elle s’est empressée de traduire en français. Fonctionnaire au CNRS, elle s’est spécialisée dans l’étude du Soufisme, notamment de Djelal Eddine Roumi dont elle est la meilleure spécialiste. Mais des conférenciers récemment autoproclamés « spécialistes du soufisme » trouvent encore le moyen de commenter longuement le Methnaoui (poèmes du saint de Konya), mais en évitant soigneusement de citer les travaux de Mme de Vitray.
Il y avait également Khaldoun Kinany, né à Damas en 1914. Il était venu à Paris en même temps que d’autres Syriens, Maarouf Daoualibi et Mohamed Moubarak notamment, pour préparer une thèse sur les « universités musulmanes médiévales » avec Gaudefroy-Debombynes. Il avait participé aux activités des Nadis des oulémas ouverts à Paris et dans la région parisienne par le cheikh Fodil Ouarthilani à partir de 1936. Il a fait toute sa carrière à l’UNESCO où il connut Nedjmeddine Bammate, le fils de Haïdar. Sans doute sur recommandation de Maarouf Daoualibi, qui était conseiller à Ryad, il a été nommé directeur du Bureau parisien de la Ligue islamique, ouvert en 1977, avec l’aide d’Abdelkader Barakrok (1915-2006). Devenu membre de la sous-commission du culte de la Commission nationale des Français musulmans créée par le gouvernement de Raymond Barre en 1977, cet ancien secrétaire d’État en 1957 et 1958 a attiré l’attention des ministres concernés sur le manque de légitimité de la direction de la mosquée de Paris et sur le caractère fictif de « l’Institut » au nom duquel la « Société des Habous » bénéficiait de plusieurs financements ministériels.
Kinany est mort à Paris au début des années 90.
Osman Yahia (1919-1997), originaire d’Alep, a fait des études de philosophie et d’islamologie à Paris sous la houlette de Louis Massignon et de Henri Corbin. Entré au CNRS, il est détaché au Caire, où il a classé l’œuvre manuscrite de Mahieddine Ibn Arabi dont l’étude était délaissée par l’orientalisme pour toutes sortes de raisons. C’est ce classement qui a permis d’autres études consacrées ultérieurement au cheikh al Akbar. C’est Osman Yahia qui fut chargé de rédiger les articles sur Ibn Arabi et l’ismaélisme pour l’Encyclopédie de l’islam et ceux sur la philosophie islamique pour l’Encyclopédie Universalis.
Nedjmeddine Bammate (1922-1985) était le plus jeune et sans doute le plus brillant des membres fondateurs du CCI. Le montant de sa contribution financière était le plus élevé. Il est né à Paris juste après la fin du combat de son père Haïdar à la tête de la République du Caucase du Nord. Il fait de brillantes études à Paris, à Cambridge et au Caire où son père lui a prescrit d’étudier les usûl al-dîn à l’université d’al Azhar. Il connut René Guénon qui était installé au Caire depuis 1930. Après avoir soutenu une thèse sur le droit romain à l’université de Lausanne, il a été ambassadeur de l’Afghanistan à l’ONU. Après un bref passage à la Croix-Rouge internationale, il entre à l’UNESCO où il est chargé du département de philosophie, du projet majeur Orient-Occident avant d’être nommé sous-directeur de la Culture.
Dans Visages de l’islam, il avait assisté son père en se chargeant de rédiger le chapitre sur « l’Art en islam ». En 1976, Bammate a remplacé Vincent Monteil à la chaire d’islamologie de Paris VII où son cours attirait un nombre exceptionnellement élevé d’étudiants et d’auditeurs libres. Au début des années 80, il a réalisé pour une chaîne de télévision américaine une série intitulée L’Espace de l’islam dont la qualité a convaincu Hervé Bourges d’ordonner sa rediffusion sur TF1. Sur cette même chaîne, il a participé aux débuts de l’émission islamique produite à partir de 1983 par l’association Connaître l’islam qui avait été fondée par son ami Jacques Berque, à la demande de François Mitterrand. La grande qualité de ses émissions justifie encore la mise de certaines d’entre elles sur les réseaux sociaux pour faciliter les comparaisons avec celles produites par les amateurs de Vivre (de) l’islam — comme l’appelle Didier Leschi dans Misère(s) de l’Islam en France.
Nedjmeddine Bammate est mort prématurément à Paris en janvier 1985. Le cheikh El Abbas, le plus ouvert et le plus rassembleur des recteurs de la mosquée de Paris, a tenu à lui rendre un hommage auquel participèrent de nombreuses personnalités venues d’horizons divers, comme les Français Jean d’Ormesson, Alain de Benoist (ce qui rendrait difficile l’accusation d’« islamo-gauchisme »), Denise Barrat (convertie à l’Islam après avoir apporté un soutien actif à l’Algérie en guerre), l’ivoirien chrétien Ki Zerbo, le haut fonctionnaire indonésien de l’UNESCO Makagiansar, le turc Ekmeleddine Ihsanoglu… Le fonds Bammate a été transféré à l’IRCICA, le centre culturel de l’OCI à Istanbul, par Ihsanoglu qui a dirigé les deux instances.
Conférencier éloquent en plusieurs langues, Bammate avait peu publié. Il a pu néanmoins montrer l’étendue de ses connaissances sur l’architecture et l’urbanisme de l’Islam, dans Cités d’islam, paru chez Arthaud. L’influence de Bammate est reconnue par de nombreux convertis à l’islam, comme l’anthropologue et professeur d’urbanisme Abdelhalim-Jean-Loup Herbert, et un ancien sous-préfet de Nouméa qui a choisi Haïdar comme prénom, en hommage au père de Nedjmeddine.
Les textes d’une partie des conférences de Nedjmeddine Bammate ont été rassemblés en un volume qui a été coédité, en 2000, sous le titre L’Islam et Occident-Dialogues, par l’UNESCO et Christian Destremau (avec une présentation de Sadek Sellam et une préface de Jean d’Ormesson qui l’avait bien connu à l’UNESCO).
Malek Bennabi (1905-1973), déjà auteur de plusieurs ouvrages, venait de Dreux pour assister régulièrement aux conférences organisées par le CCI. Dans son bulletin d’adhésion, à la question sur sa nationalité, il répondit : « colonisé ». Un de ses articles remarqués paru dans la République algérienne en 1954, et repris dans Le Problème des idées dans le monde musulman, lui a été inspiré par des échanges à bâtons rompus avec des travailleurs algériens rencontrés dans une réunion du CCI.
Parmi les nombreux étudiants maghrébins et orientaux qui allaient régulièrement aux réunions du CCI, on trouve notamment les noms de Kamel Abou el Mejd qui, après des études de droit à Paris, est devenu ambassadeur de l’Égypte à l’ONU, puis ministre. On trouve aussi le nom d’Ahmed Taleb-Ibrahimi alors étudiant en médecine à Paris et futur membre du Comité de la Fédération du FLN en France. Au nom du CCI, il envoyait des mises au point pour corriger les erreurs des articles sur l’Islam parus dans des journaux comme Le Monde, qui justifiait systématiquement ses refus d’insérer par la fameuse « abondance des matières ». Taleb déplorait notamment le monopole sur l’Islam que le Monde permettait aux « 3 M » (Louis Massignon, Louis Milliot et Robert Montagne) d’exercer, aux dépens des intellectuels musulmans, qui n’étaient pas moins concernés.
Il y avait également Abdelghafour Ferhadi, né en 1929 en Afghanistan. Étudiant à l’École des Langues orientales, il y a soutenu un mémoire remarqué (notamment par Massignon) sur un poème mystique de Halladj en persan. Il a fait carrière dans la diplomatie de son pays et a été emprisonné par les communistes quand l’Armée rouge les a mis au pouvoir en 1979. À la fin de sa détention, il est revenu à Paris où il a renoué avec Hamidullah et l’écriture. Il a fini sa carrière comme ambassadeur d’Afghanistan à l’ONU.
Le CCI a contribué grandement aux débats sur l’Islam et aux différents dialogues en organisant régulièrement des conférences au Quartier latin et à la Cité universitaire où étaient célébrées également les fêtes religieuses.
Durant l’année universitaire 1956-1957, le CCI, en collaboration avec des islamologues ouverts au dialogue et qui n’exigeaient pas des musulmans d’être de simples « informateurs indigènes », a animé une université ouverte à La Sorbonne. C’était sans doute pour répondre à l’augmentation sensible de la demande de connaissances sur l’Islam suscitée par l’aggravation de la guerre en Algérie.
Le CCI est rendu plus digne d’intérêt encore par son projet d’ouvrage collectif sur l’islam où les coauteurs projetaient d’expliquer l’islam avec leur sensibilité religieuse. Conseillés par Michel Chodkiewicz, converti à l’islam qui débutait aux éditions du Seuil (dont il deviendra le PDG dans les années 80), les principaux membres du CCI se réunirent plusieurs fois et conçurent un plan détaillé de cet ouvrage qui n’a hélas pas pu être publié. Le Centre a néanmoins organisé une souscription en 1958 pour la réédition de Visages de l’islam de Haïdar Bammate. En 1963, Hamidullah, qui assurait un enseignement semestriel à l’université d’Istanbul, s’est chargé de publier seul Initiation à l’islam.
Pour tenir la promesse de publication sur l’islam par le CCI, il a développé ce qui devait être sa contribution à l’ouvrage collectif. Après la décolonisation, il a été amené à continuer ce qui avait été commencé au CCI avec deux associations apolitiques : l’AEIF (Association des Étudiants islamiques en France, déclarée en 1963), que des islamo-politistes sécuritaires persistent arbitrairement à « politiser », en feignant d’ignorer les grands intellectuels du CCI ; l’Amicale des musulmans en Europe, fondée la même année, et qui publiait, à partir de 1967, la revue France-Islam. Elle était présidée par Mokhtar Hadjry (1909-1993), un disciple tunisien du cheikh Abdelaziz Thaalibi, installé en France depuis 1946. Cette association à caractère culturel et social a organisé les départs au pèlerinage à la Mecque, bien avant l’intérêt des islamo-affairistes pour ce pilier de l’islam.
Le verbatim des intéressantes séances de brainstrorming en vue de l’ouvrage collectif sur l’islam a été conservé par Solareddine Mohamed avec d’autres archives du CCI. Hélène-Zakya Eckmann, qui était sténodactylo au Sénat, se chargeait de rédiger les procès-verbaux de ces entretiens. La présente édition regroupe ces réflexions sur la meilleure façon de présenter l’islam à des non-musulmans et des articles signés par les principaux animateurs du Centre dont l’acte d’écrire était facile.
La lecture de ce recueil permet d’apprécier le niveau de réflexion de ces intellectuels libres de toute attache et qui ne bénéficiaient d’aucun financement. Ils avaient pour seules ressources : leur foi, qu’ils ne cherchaient pas à dissimuler ; leurs savoirs qu’appréciaient les grands orientalistes qui échappent aux critiques de l’orientalisme par Edward Saïd ; leur ouverture aux dialogues perçus comme une autre façon de méditer sur sa propre condition ; et leur disposition à s’engager dans une action collective à une période où « l’intégration » était déjà synonyme d’individualisme. Leur engagement intellectuel ne paraissait pas moins important que les combats politiques de la décolonisation.
Pour toutes ces considérations, la lecture de ce recueil ne peut être que bénéfique, au moment où les carences éducatives des instances islamiques de France deviennent de plus en plus préoccupantes. L’exemple des illustres prédécesseurs, qui assurèrent une présence de l’islam dans les débats d’idées des années 50, pourrait inspirer ceux qui cherchent à sortir l’islam en France de l’ornière où l’ont mis de nouveaux usages du religieux à d’autres fins.
Sadek Sellam